Leave space alone, Elon
Ou : Quand Elon Musk veut faire du ciel un gigantesque panneau publicitaire
Quand le patron de SpaceX a envoyé une voiture dans l’espace sur fond de David Bowie, on s’est dit qu’Elon Musk surjouait un peu son personnage de milliardaire déjanté, et qu’il aimait les performances publicitaires.
Mais on ne se doutait pas que le patron de SpaceX souhaitait aller plus loin. La semaine dernière, une start-up canadienne a annoncé vouloir mettre en orbite un satellite un peu particulier. Son objectif ? Diffuser de la publicité en orbite autour de la Terre, le tout en partenariat avec l’entreprise d’Elon Musk.
Musk, space cowboy
Le satellite pubard ne sera pas visible depuis le plancher des vaches. Pour le moment. La pollution visuelle se concentrera donc sur des écrans placés sur l’appareil, sur lesquels seront projetés des images achetées grâce au protocole d’échanges de cryptomonnaies Ethereum. De quoi combiner les multiples obsessions du fondateur de Tesla. Chacun pourra donc profiter de ces réclames de l’espace depuis YouTube ou Twitch, en direct. Une merveilleuse parabole de notre époque, qui illustre parfaitement la formule “Humans of Late Capitalism”, qui fait l’objet depuis quelques années d’un hashtag sur Twitter.
D’autant que ce n’est que le énième avatar de la volonté démiurgique du magnat sud-africain de faire de l’espace son nouveau terrain de jeu. Terraformation de Mars, tourisme spatial, satellites commerciaux, nouvelles combinaisons spatiales de la Nasa : Elon Musk est partout dans l’espace. Et si personne ne peut (encore) l’y entendre crier, on peut déjà observer sa trace dans notre ciel. Rendez-vous compte : un homme et ses satellites Starlink squattent déjà notre voûte céleste depuis quelques années, et son projet de déployer des milliers de satellites dans les prochaines années menace la recherche astronomique.
Mais puisqu’ici on parle SF, dont Musk est un fan affirmé, il est intéressant de noter que si le genre évoque la publicité, c’est souvent pour en moquer les outrances et en accentuer les dérives. Dans un de ses Contes Cruels (1883), L’affichage céleste, l’écrivain français Villiers de l’Isle-Adam imaginait un détournement de l’invention du moment, l’électricité :
“Ne serait−ce pas de quoi étonner la Grande−Ourse elle−même, si, soudainement, surgissait, entre ses pattes sublimes, cette annonce inquiétante : Faut−il des corsets, oui, ou non ? Ou mieux encore : ne serait−ce pas un spectacle capable d'alarmer les esprits faibles et d'éveiller l'attention du clergé que de voir apparaître, sur le disque même de notre satellite, sur la face épanouie de la Lune, cette merveilleuse pointe−sèche que nous avons tous admirée sur les boulevards et qui a pour exergue : A l'Hirsute ? Quel coup de génie si, dans l'un des segments tirés entre le v de l'Atelier du Sculpteur, on lisait enfin : Vénus, réduction Kaulla ! − Quel émoi si, à propos de ces liqueurs de dessert dont on recommande l'usage à plus d'un titre, on apercevait, dans le sud de Régulus, ce chef−lieu du Lion, sur la pointe même de l'Epi de la Vierge, un Ange tenant un flacon à la main, tandis que sortirait de sa bouche un petit papier sur lequel on lirait ces mots : Dieu, que c'est bon !”
Le fait d’écrire dans le ciel, envisagé dans plusieurs oeuvres, est rapidement remplacé par des dispositifs prenant forme depuis l’espace. En 1950, Robert Heinlein imagine dans L’homme qui vendit la Lune un millionaire qui, pour financer son expédition lunaire, envisage des pubs pour sodas directement inscrite sur notre satellite, et visible depuis la Terre.
Comme à son habitude, Isaac Asimov va plus loin puisqu’on trouve dans la nouvelle Cher Jupiter des extraterrestres qui demandent à louer la planète pour la transformer en panneau publicitaire géant. La production science-fictionnelle des années 1980 à 2000 se penchera de son côté sur les neurosciences et la manipulation mentale appliquée à la publicité. Espérons que la fameuse scène des panneaux publicitaires dans le Invasion Los Angeles de John Carpenter (1988) ne donne pas d’autres idées à l’ami Elon, qui, évidemment, dispose également d’une entreprise consacrée aux neurotechnologies, Neuralink.
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